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« Fusées », l’ovni théâtral de Jeanne Candel

Rarement spectacle aura si bien porté son nom. D’abord parce qu’il file à la vitesse d’une comète dans les lieux où il se joue. Ensuite parce que, en soixante-cinq minutes, il satellise le spectateur, qui plane entre rêverie et jubilation. Créé en septembre au Théâtre de l’Aquarium, à Paris, Fusées, conçu et mis en scène par Jeanne Candel, ne séjourne pas plus de quelques soirées dans les villes où il est programmé. Hasard des saisons, contraintes économiques ? Probablement un peu des deux. On aimerait pourtant croire à une raison plus poétique et se convaincre que ces apparitions furtives de part en part de la France relèvent de l’allégorie volontaire : pourquoi s’attarder dans les villes, quand le projet lui-même traite de l’éphémère et de l’insaisissable.
Trois acteurs et une pianiste surgissent devant le public. Plateau nu, à l’exception d’un castelet de fortune recouvert d’une bâche bleue. La bâche est ôtée, les comédiens se débarrassent de leurs entraves : un bandage au poignet, un pansement sur le front, une jambe plâtrée. Les albatros se traînent au sol dans le poème de Charles Baudelaire. Au théâtre, ils prennent leur envol pour de lointaines sphères. Jeanne Candel cherche la grâce. Et la trouve.
Là est la Terre, ici la Lune, ailleurs la planète Mars. La représentation des astres se mène à l’aide de cartons coloriés. Le spectacle s’adresse aux enfants dès l’âge de 6 ans (ce qui limite sa portée corrosive auprès des plus âgés, mais enchante la jeune génération). Direction le cosmos, où se propulsent deux explorateurs de pacotille. Vladislav Galard et Jan Peters n’enfilent pas de combinaisons high-tech. Assis sur des chaises, leur corps balançant en avant et en arrière dans de démonstratifs ralentis, ils miment le décollage, puis l’apesanteur dans le vaisseau spatial, et enfin la sortie dans un infini qui les happe. Un cosmonaute qui largue pour de bon les amarres ? Pas besoin d’effets spéciaux. L’acteur se contente de gagner les coulisses d’un pas calme.
L’épopée dure le temps que durent les songes. A terre, une femme (Sarah Le Picard) joue les commentateurs. Elle est aussi la voix de l’ordinateur du vaisseau. Au piano, la Petite messe solennelle, de Rossini, dévale des doigts de Claudine Simon. Fusées est un assemblage composite, où la musique, la lumière, les corps, les mots, les fumigènes, les bouts de carton et jusqu’aux chaises inertes s’articulent dans un ballet aérien réglé de près.
A quel moment abandonne-t-on toute forme de résistance face à cet ovni ? Impossible de nommer le geste, le mot, le chant qui bascule le spectateur des rives de la logique vers celles, plus envoûtantes, du vagabondage intérieur. Le talent de Jeanne Candel ne consiste pas seulement à créer le théâtre avec trois bouts de ficelle et des comédiens, c’est vrai, follement talentueux. Il est aussi de percer des brèches dans les perceptions, d’y immiscer ses visions artistiques et de placer le public dans un état de réception stratosphérique.
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